💠 La donnée : Le nouvel or noir des banques (et surtout des fintech) ?

Mar 30, 2018 | Parutions

par Jonathan Herscovici, co-founder & CEO de WeSave, membre du comité directeur de France FinTech

75 milliards de dollars. En une semaine, la valorisation de Facebook a subi la plus grosse chute boursière de son histoire suite Ă  l’annonce le 16 mars dernier du scandale Cambridge Analytica. La sociĂ©tĂ© britannique a utilisĂ© illĂ©galement les donnĂ©es personnelles de plus 50 millions d’utilisateurs du cĂ©lèbre rĂ©seau social.

Cette histoire montre bien à quel point la donnée et son exploitation sont devenues des enjeux ultra-stratégiques dans l’économie mondiale à la fois sur les aspects de business model mais aussi de sécurité et d’encadrement réglementaire. Dans le milieu bancaire et financier, nous n’en sommes qu’aux balbutiements sur tous ces aspects. Heureusement, les fintech prennent le rôle de véritables émulateurs de marché.

La ruée vers l’or de la data bancaire

Grâce Ă  la gĂ©nĂ©ralisation des technologies Internet, adoptĂ©es par les banques et les assureurs Ă  diffĂ©rentes Ă©chelles (ce que rĂ©vèle une Ă©tude de l’ACPR publiĂ©e le 20 mars – La rĂ©volution numĂ©rique dans le secteur bancaire français), les fintech seront en mesure d’exploiter des gisements de donnĂ©es extrĂŞmement prĂ©cieux pour nourrir la relation exclusive qu’elles veulent entretenir avec les clients finaux.

Les Ă©volutions rĂ©glementaires en cours sont en train de contribuer Ă  ces bouleversements liĂ©s Ă  la donnĂ©e, la DSP2 en est l’exemple parfait. Cette directive europĂ©enne, qui a fait (et fait encore) l’objet de nombreuses discussions, permettra de proposer aux clients finaux un service qui peut rĂ©cupĂ©rer l’ensemble des donnĂ©es disponibles dans sa banque concernant chacun de ses comptes. Très concrètement, les banques vont mettre Ă  disposition des API – d’ici septembre 2019 – qui permettent aux clients finaux (Ă  travers des fintech principalement) de disposer de toutes leurs informations bancaires. Le leitmotiv principal de ces disrupteurs fintech est de reprendre Ă  leur compte la relation avec les clients finaux, obligeant les banques Ă  se rĂ©inventer. Le point de dĂ©part de cette nouvelle ère bancaire est indĂ©niablement la donnĂ©e. Problème, les banques elles-mĂŞmes ne savent pas extraire la donnĂ©e qu’elles possèdent depuis toujours ; en cause, la dette technique accumulĂ©e depuis des dizaines d’annĂ©es et l’utilisation – encore trop importante – des technologies obsolètes comme le Cobol, crĂ©Ă© en 1959. Alors que les banques critiquent ardemment – pour des raisons de sĂ©curitĂ© – les technologies de scraping utilisĂ©es actuellement par les fintech, elles ont elles-mĂŞmes recours Ă  ces mĂ©thodes pour rĂ©cupĂ©rer les donnĂ©es, un comble.

Au-delĂ  de l’extraction de ces donnĂ©es, l’enjeu majeur se trouve dans leur exploitation, car il est Ă©vident que la donnĂ©e brute ne se suffit pas Ă  elle mĂŞme. LĂ  encore, les banques ne semblent pas parvenir Ă  le faire correctement. Ainsi, elles devront donc faire appel Ă  des fintech pour les aider Ă  y arriver. Attention nĂ©anmoins Ă  ne pas transformer la fintech en une SSII “amĂ©liorĂ©e” qui a, Ă  la fois, le savoir-faire, l’expertise de dĂ©veloppement informatique et une capacitĂ© d’exĂ©cution plus rapide grâce Ă  son approche de “lean startup”. D’autres acteurs de la fintech, profitant de leur agilitĂ© dans l’utilisation de la donnĂ©e et de leur savoir-faire en matière scientifique et technologique, se positionnent en concurrence des banques pour apporter plus de valeur au client final en fonction de leur besoin. Parmi les centaines d’applications possibles de l’exploitation de la donnĂ©e, celle-ci va d’abord permettre d’amĂ©liorer la transparence avec notamment l’avènement de comparateurs intelligents des diffĂ©rents acteurs du secteurs financiers et des produits financiers eux-mĂŞmes. Le client va, entre autres, avoir accès au dĂ©tail des frais et pourra Ă©valuer l’objectivitĂ© d’un conseil : “Est-ce que le modèle Ă©conomique de la banque est construit sur la vente du produit plutĂ´t que sur le conseil qu’elle me prodigue ?”. Le client pourra constater par exemple – comme l’a encore rĂ©vĂ©lĂ© l’AMF dans son dernier rapport sur les conseillers financiers – que les rĂ©tro-commissions reprĂ©sentent plus de 90% de la rĂ©munĂ©ration du conseiller. C’est d’ailleurs pour Ă©viter les conflits d’intĂ©rĂŞt entre le conseiller et le client final que le rĂ©gulateur a proposĂ© la directive MIFID2 – dont la mise en application qui devait entrer en vigueur le 3 janvier a encore Ă©tĂ© repoussĂ©e de trois mois – et encourage la rĂ©munĂ©ration sous forme d’honoraires. C’est un bouleversement majeur pour les banques qui sont encore, pour une majoritĂ© d’entres-elles, loin d’y ĂŞtre prĂ©parĂ©es complètement.

Vers des modèles économiques beaucoup plus “data-driven”

Le modèle Ă©conomique classique des banques est en perte de vitesse – marge rĂ©duite, nouvelle concurrence, pression rĂ©glementaire – d’autant plus que la frĂ©quentation des agences a fortement diminuĂ© ces dernières annĂ©es. Comme on vient de le voir, les fintech viennent menacer les modèles Ă©conomiques existants en crĂ©ant des services qui se concentrent sur une meilleure connaissance client, un parcours utilisateur repensĂ© et une adĂ©quation objective entre les attentes du client et la gamme de services/produits conçu pour lui. Les fintech font le pari que mieux connaĂ®tre le client – grâce Ă  l’exploitation des donnĂ©es – entraĂ®nera nĂ©cessairement une progression fulgurante de leur satisfaction. La lĂ©gitimitĂ© de ces nouveaux acteurs Ă  facturer un service financier n’en sera que plus forte. Ces constats sont autant d’opportunitĂ©s pour construire de nouveaux services hybrides, qui mĂŞlent l’accompagnement “humain” d’un conseiller financier et les nouvelles technologies. Si les fintech trouvent le bon Ă©quilibre entre les deux, Ă  travers une interface unique de produits/services financiers, pour devenir le principal interlocuteur du client en tant que “conseiller financier augmenté”, elles pourront relĂ©guer la banque Ă  un simple rĂ´le de concepteur des produits financiers, de gestionnaire du risque et de dĂ©positaire des fonds. Une catastrophe pour les banques.

Les modèles Ă©conomiques existants ne vont nĂ©anmoins pas disparaĂ®tre aussi facilement. Ils seront d’abord optimisĂ©s Ă  l’extrĂŞme en amĂ©liorant l’efficacitĂ© de toute la chaĂ®ne de valeur bancaire. L’exploitation de la donnĂ©e sera Ă©videmment le principal contributeur de cette optimisation. Par exemple dans l’analyse de crĂ©dit aux entreprises, plutĂ´t que de passer par un procĂ©dĂ© traditionnel d’analyse, des fintech proposent une analyse automatisĂ©e des donnĂ©es des comptes bancaires de ces entreprises mais aussi celles gĂ©nĂ©rĂ©es par leur business, comme le paiement des fournisseurs, ou encore par leur activitĂ© sur les rĂ©seaux sociaux. Cette analyse crĂ©dit est actualisĂ©e en permanence car les flux sont mis Ă  jour quotidiennement – que ce soit via la mĂ©thode du scraping ou de l’API. L’octroi du crĂ©dit pourrait ĂŞtre quasi instantanĂ©. La donnĂ©e bancaire – dĂ©jĂ  plĂ©thorique – n’est, ainsi, pas la seule donnĂ©e exploitable et peut ĂŞtre croisĂ©e avec d’autres donnĂ©es comme on vient de le voir. Les gĂ©ants du web sont les champions du monde dans l’exploitation de tous types de donnĂ©es, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils s’intĂ©ressent de plus en plus Ă  celles produites par l’industrie financière. Ces analyses de donnĂ©es clients (pas uniquement bancaires) commencent d’ailleurs Ă  intĂ©resser tous les marchands qui, eux aussi, font face Ă  un contexte qui les pousse Ă  innover et Ă  mieux rĂ©pondre aux attentes de personnalisation de leurs consommateurs, quels que soient les canaux utilisĂ©s. D’autres fintech s’engouffrent donc vers les vertus business d’une stratĂ©gie “customer centric” qui profite Ă  tout le monde.

L’expĂ©rience bancaire de demain sera d’abord “customer centric”

On vient de le voir, l’industrie financière va subir des bouleversements majeurs dans les annĂ©es Ă  venir. La concurrence dans les services financiers ne va plus se jouer seulement sur le triptyque prix / produit / marque mais de plus en plus sur les donnĂ©es et leur utilisation, l’ultra-personnalisation par exemple. Les acteurs de l’Ă©cosystème – banque ou fintech – qui se dĂ©marqueront et qui gĂ©nĂ©reront de la longĂ©vitĂ© dans leur interaction client sont ceux qui s’appuieront sur les valeurs et les Ă©motions du client final. Les entreprises “customer centric” ont compris qu’un produit dont la promesse ne repose que sur de simples caractĂ©ristiques techniques peut se substituer facilement : une voiture peut ĂŞtre remplacĂ©e par une autre voiture. Si l’on devait citer Tesla, on s’attarderait sur sa technologie disruptive de voiture Ă©lectrique mais aussi sur la vision d’Elon Musk de l’expĂ©rience client dans laquelle il investit massivement. La crĂ©ation de valeur se fait sur l’expĂ©rience client amplifiĂ©e, par le soin du dĂ©tail, cela allant de la puissance d’accĂ©lĂ©ration de la Model S(incroyable pour l’avoir testĂ©e) jusqu’au design interactif de ses boutiques.

Ce qui fait le succès de ces stratégies, c’est la capacité de l’acteur à créer un avantage concurrentiel basé sur l’expérience client qui pourra même être parfois empathique : c’est l’ultra-personnalisation de la relation client. Il ne faudra pas négliger, néanmoins, l’importance de la confiance du client dans la notoriété de la marque et dans la solidité de l’entreprise lorsqu’il fera son acte d’achat, et particulièrement dans les services financiers.

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Cet article fait partie d’une sĂ©rie de billets publiĂ©s dans le cadre de l’Ă©vènement annuel organisĂ© par France Fintech : Fintech R:Evolution 2018, qui aura lieu le 10 Avril à Station F à Paris, sur le thème “Data Liberation”. A partager, commenter et liker sur LinkedIn avec le hashtag #FFT18.

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