COVID 19 : et si on en profitait pour réfléchir ?

Mai 13, 2020 | Tribunes

COVID 19 : et si on en profitait pour réflechir ?
par Alain Clot, Président de France FinTech

Renvoyé dans mes foyers pour cause de confinement, je suis comme tout le monde passé par les phases de sidération, d’inquiétude, d’irritation parfois devant le déploiement des travers inhérents à ce type de crise : explosion des tentatives de fraude, désinformation et complotisme à tous les étages, déni irresponsable du danger ou catastrophisme destructeur et surtout cette propension si française à juger, condamner, dénoncer et s’autoproclamer sachant (65 millions d’experts…).

Je crois que la phrase qui m’irrite le plus est « je vous l’avais bien dit » … Mais aussi admiratif devant le courage de tant de soignants, pompiers, policiers, caissières, éboueurs, employés de banque, entrepreneurs, fonctionnaires. Preuve supplémentaire s’il en fallait que nous sommes une grande nation et que l’union et la solidarité font la force.

Ne l’oublions pas dans cette ère numérique qui menace partout les mutualisations qui sont pourtant le fondement même de notre société. Et bien sur heureux de pouvoir (enfin) lire, réfléchir et penser cette situation. Je suis assez âgé pour savoir qu’il ne faut pas tomber dans la vieille antienne « le monde ne sera plus jamais comme avant », qu’on nous ressert à chaque crise avec un air sentencieux et mystérieux.

Il me semble que,  si cette crise a quelques spécificités marquées (aspect universel sur les plans géographiques et sectoriels notamment), elle se traduira probablement davantage par une accélération de tendances préexistantes que par une rupture proprement dite :

  • « Distanciation » accrue entre les producteurs (y compris publics) et les clients-utilisateurs-usagers. Il n’est que voir, par exemple,  l’explosion de l’usage des applications bancaires pour comprendre que la numérisation des services financiers va connaître une forte accélération. Et cela se vérifie dans tous presque tous les secteurs. Dure époque pour les distributeurs traditionnels qui doivent se hâter dans leurs réflexions.

     

  • Rôle croissant et bientôt central des technologies de la donnée, au premier rang desquelles l’intelligence artificielle, décisive dans les quatre défis des services financiers : connaissance client, conseil, gestion du risque et productivité. L’IA va permettre de trouver des solutions industrielles au défi de concilier traitement de masse et individualisation de la solution, qu’on pourrait formuler par l’oxymore : industrialiser l’individualisation.

     

  • Menace sans précédent que constituent les Big Tech (GAFAM et BATX), véritables grands gagnants de cette crise et qui ciblent désormais prioritairement les services financiers.

     

  • Recours croissant aux modes innovants d’organisation du travail : télétravail, « freelancing », partenariats. Selon des études récentes, la majorité des moins de 35 ans envisagent de quitter leur employeur dans les deux ans et plébiscitent la culture de l’artisanat. Étonnant retournement…

     

  • Nouveau rapport à la confiance et remise en cause généralisée des autorités, experts et intermédiaires traditionnels.

Cette période appelle, en tout état de cause, une actualisation de la réflexion stratégique. Qu’il me soit permis à ce sujet de suggérer quelques pistes.

La première est l’importance vitale d’élaborer une vision (ceci étant d’ailleurs vrai au niveau de la Nation et de l’Entreprise). Une vision n’est pas un exercice de prévision, ni une projection linéaire des tendances actuelles. Il s’agit d’une tentative de mise au clair de convictions, d’hypothèses étayées, de scénarios de projection ou de rupture. C’est aussi le consensus sur lequel doit s’appuyer le corps social.

La seconde est que cette réflexion stratégique gagne à s’appuyer sur les principes suivants :

  • La chaîne de valeur doit être redéfinie, finement, en s’interrogeant ensuite, maillon par maillon, sur l’identification du « régalien » (ce qui est au cœur de la valeur) et ce qui peut et doit être externalisé, voire abandonné. Les ressources de l’entreprises, au premier rang desquelles les hommes et le temps, doivent être concentrées sur ce régalien.

     

  • Une réflexion profonde et fine sur l’externalisation (ni trop propriétaire dans son approche, ni fragilisé par une sous-traitance excessive ou trop lointaine) est opportune.

     

  • L’observation de la concurrence, des meilleures pratiques et de la technologie (« benchmark ») est plus que jamais vitale. Il est désormais conduit à 360° :  une banque doit observer en permanence non seulement ses pairs, mais aussi désormais les fintech, les assureurs, la grande distribution, les Big Tech, les labos d’IA et universités, etc.

     

  • Il faut s’adapter à la réflexion et l’action en univers durablement incertain et pour tout dire imprévisible : actualiser sa vision en continu, diversifier ses options stratégiques, accepter d’expérimenter.

     

  • Prendre en compte que « le temps raccourcit ». Le « Time to Market » est devenu un concept clé. La surqualité ou la perfection tardive tuent au moins autant que leur contraire.

     

  • La rupture stratégique s’accommode mal des processus « démocratiques ». Elle ne se soumet pas aux voix. Ceci n’est évidemment pas politiquement correct et même dérangeant pour nos consciences républicaines et participatives.  Mais les groupes performants dans une période comme celle-ci définissent à la tête, sans tergiverser, les ajustements nécessaires et les exécutent sans trembler. Le « Bottom Up », tellement dans l’air du temps, est peu adapté à la nécessité de rupture stratégique. Ceci n’excluant pas bien au contraire l’écoute, la pédagogie et l’appropriation par tout le corps social.

     

  • Il serait inconséquent de « relancer la machine » sans une prise en compte beaucoup plus forte des impératifs de développement durable. Parce l’état de la planète le nécessite, mais aussi parce que ni les collaborateurs, ni les clients n’accepteront le statu quo.

Enfin j’aimerais conclure ce court propos avec l’aspect qui me semble le plus important en cette ère de mutation profonde. Très simplement formulé, je dirais : le sujet complexe n’est pas la technologie mais la culture et c’est ce qui est le plus difficile à changer. Le moteur de la société est plus que jamais la jeunesse, les « milléniaux » et leurs nouvelles attentes. Pour la première fois de l’histoire, on apprend plus techniquement de ses enfants que de ses parents et ce sont les plus jeunes qui donne le “la”. Et cela sera probablement encore vérifié pour la génération suivante. Il faut apprendre à parler la langue de cette classe d’âge  “Petite Poucette” comme l’a nommée Michel Serres.
 Le rapport à la technologie, à la donnée, à l’innovation en général est également un sujet culturel. Apprendre de plus petits que soi, ou de plus jeunes, prendre des risques, expérimenter, accepter d’échouer, tirer les leçons de ses erreurs, recommencer, « pivoter », ou partager la recherche ne sont plus des options mais d’ardentes nécessités.

Édito publié pour le livre blanc Crise & Opportunité d’Howard Partners

 

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