Pourquoi la fintech fournit-elle la plupart des licornes françaises en 2021 ? Réponse avec Alain Clot, président de France FinTech

Fév 3, 2022 | Parutions

C’est le secteur d’activité en forte accélération en France. La fintech ou finance technologique regroupe aujourd’hui 700 entreprises pour 30 000 emplois. En très forte croissance, elle devrait créer plus 10 000 emplois supplémentaires en 2022. C’est aussi un domaine attractif pour de nombreux investisseurs internationaux. Elles sont une dizaine de fintechs aujourd’hui à dépasser le milliard de dollars en termes de valorisation. Elles sont entrées dans la catégorie des « licornes ». Ces start-up couvrent un large spectre d’activités : le paiement en ligne, la néo banque, l’assurtech, la crypto monnaie, le financement classique et participatif ou encore les robots-conseillers. Pour représenter et animer cette communauté, l’association France FinTech a été créée en 2015. Elle rassemble aujourd’hui 260 membres et organise chaque année son grand événement, « FinTech Révolution ». Son président Alain Clot nous détaille les facteurs de croissance de ce secteur en pleine accélération.

Actu-Juridique : Qu’est-ce que représente la fintech dans le secteur plus global dans la finance en France ?

Alain Clot : La fintech est un concentré d’innovations, qui stimule le monde traditionnel de la finance. À ce jour, plus de la moitié des fintechs sont en BtoB. Le client c’est donc la banque ou l’assurance. Il y a plus de 1 100 partenariats identifiés entre les acteurs traditionnels et ceux de la finance technologique. Le marché se développe et le BtoC (parler directement au client final) croît désormais plus vite que le BtoB. Nous sommes donc à la fois en coopération et en concurrence. Nous appelons cela dans le jargon de la nouvelle économie la « coopétition ». On constate une interpénétration et une stimulation réciproque. Elle s’est également traduite par une vague importante d’investissements en capital des banques et des assurances dans les fintechs. Une soixantaine de prises de participation majoritaire, puis un certain nombre de prises de participation minoritaire. La fréquence de ce type d’opération s’est quelque peu ralentie depuis plusieurs années, d’une part parce que les grands établissements n’ont pas vocation à les multiplier, mais aussi les fintechs ont désormais un large accès au financement en capital risque, qui leur faisait défaut à l’époque.

Aujourd’hui, la part de marché globale des fintechs est encore nettement modeste plus que celle du secteur bancaire, même si le taux de croissance est extrêmement fort. En 2021, nos chiffres d’affaires ont connu une très forte accélération. Celle-ci devrait se poursuivre en 2022, et se traduit notamment par un budget de recrutement de 10 000 collaborateurs, soit un tiers de plus. Mon sentiment, d’après ce que j’observe, c’est que cela pourrait être encore davantage. Un certain nombre de mes membres vont doubler de taille en effectif cette année.

AJ : Dans le secteur de la fintech, il existe de nombreuses licornes …  

A. C. : L’année 2021 a vu l’émergence de cinq nouvelles licornes. Elles s’ajoutent aux trois précédentes : Ledger, Alan, Lydia, Swile, Shift Technology, Ivalua, PayFit et Dataiku. Depuis le début de l’année 2022, se sont ajoutés Qonto et Spendesk. C’est intéressant de noter que cinq des treize licornes apparues en France en 2021 sont des fintechs. Notre domaine est le premier secteur des licornes françaises, avec dix sur vingt-cinq.

AJ : Dans quels domaines de la fintech sont engagées ces licornes ?

A. C. : C’est bien diversifié en termes d’activité ou de sous-jacents. Depuis le champion de la sécurisation de la crypto monnaie comme Ledger jusqu’ à un des futurs leaders européens de la néo banque pour les PME comme Qonto, en passant par le modèle emblématique d’application de paiement qu’est Lydia ou encore par l’économie de la facture et de la comptabilité avec Spendesk. C’est extrêmement distribué. L’ensemble du domaine de la fintech est en pleine expansion, qui s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, c’est le produit de sept à huit ans d’investissement pour la plupart. Ensuite, la finance innovante française est partie plus tôt que la plupart des autres marchés. Les Français font partie des premiers consommateurs à avoir eu accès à leur compte et à pouvoir réaliser des opérations à distance. Cela bien avant les Américains ou les Anglais. Le minitel permettait déjà des applications de services financiers. L’arrivée d’internet a permis aux Français d’être pionniers dans la finance à distance et alternative. Mais la fintech française a ensuite pris un retard important par rapport aux Anglo-saxons car il lui manquait trois ressources. Aujourd’hui nous avons rattrapé ce retard.

AJ : Quelles sont ces ressources qui ont permis le développement des fintech en France ?

A. C. : La première c’est le capital-risque. Nous étions parmi les derniers en Europe dans ce domaine. Le marché du financement en France c’était quasi exclusivement par les banques, lesquelles ne finançaient pratiquement pas les start-up. Aujourd’hui, nous comptons parmi les premiers en termes de capital-risque. Il a été largement abondé, il est vrai, par les investisseurs mondiaux, du fait de l’attractivité de notre écosystème et de la France en général.

La deuxième ressource correspond au soutien par une régulation ou une réglementation favorable à l’innovation technologique. Les régulateurs français considéraient il y a encore quelques années, que cela ne faisait pas vraiment partie de leur mandat. Une sorte de « révolution culturelle » a pris place en France. Nos superviseurs se sont coordonnés, notamment l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Ils animent par exemple le Forum fintech de la régulation, une instance commune qui réunit les acteurs de l’écosystème et traite des sujets de régulation-supervision. Nos régulateurs ont également créé un certain nombre de dispositifs pour soutenir le secteur. Il s’agit en particulier d’équipes dédiées, compétentes dans les domaines technologiques et référents quotidiens de la fintech.

Enfin la troisième ressource – et la principale –  est le marché lui-même. Aujourd’hui, les consommateurs diversifient leurs fournisseurs. Ils sont devenus plus mobiles et veulent être acteurs dans leur accès aux services financiers. Les fintechs leur permettent de construire leurs solutions de paiement, de tenue de compte et de financement, grâce aux applications. Ils sont beaucoup plus exigeants s’agissant des services et des prix et veulent trouver les meilleurs expériences utilisateur et accéder au meilleur de ce que la technologie offre. Par exemple, un français sur trois, entre 18 et 35 ans, est client de l’application Lydia.

AJ : En quoi la région Île-de-France est au cœur de la fintech française ?

AC : L’Île-de-France représente à peu près 85 % du marché. Elle offre il est vrai un profond gisement de compétences, un pôle académique très important avec des établissements prestigieux. Mais cela résulte également de la structure extrêmement centralisatrice de notre pays. La finance française est à son image. De ce point de vue, la fintech ne fait malheureusement pas exception, malgré le développement rapide de magnifiques plateformes partout en régions. S’agissant de la région parisienne, nous comptons de nombreux « hubs », positionnés principalement dans la petite couronne francilienne. Citons le Swave, premier incubateur de fintechs en France, Station F ou Plateform58. On observe par ailleurs une certaine densité de fintechs dans les quartiers Bastille, République, ou encore à Neuilly-sur-Seine pour en citer quelques-uns.

« L’Île-de-France représente à peu près 85 % du marché des fintechs »

Nous sommes extrêmement attachés à soutenir les plateformes en région. Il s’en développe partout : Nancy, Lille, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Marseille-Aix, Montpellier, etc. Ce sont des plateformes de grande qualité, que nous soutenons autant que nous le pouvons. Une des clés de réussite d’un hub, c’est un véritable fonctionnement en écosystème. C’est-à-dire une communauté d’acteurs en interaction : fintechs, grands établissements financiers, sphère académique, collectivités publiques, fonds.

AJ : Comment le secteur de la fintech s’est-il positionné face à la crise sanitaire ?

A. C. : Comme tout le monde, nous avons connu un moment de sidération, au début de la crise sanitaire en mars 2020. Nous avons dû faire face à un « trou d’air » de financement. En parallèle, nos membres ont pris un grand nombre de mesures de solidarité aux soignants, aux personnes en difficulté sociale, aux PME, aux commerçants. Passé ce moment de quelques semaines, les financements sont revenus.

Deux secteurs, plutôt marginaux chez nous, ont pâti de la crise sanitaire : les activités en lien avec l’événementiel. Par exemple, les cagnottes « peer to peer » (P2P) associées à des événements. Ou ceux liés au commerce physique, pénalisés par les confinements. Mais tout cela a repris et le reste des activités a très fortement cru.

Globalement, la fintech a connu une très forte accélération en 2021. Les consommateurs, particuliers et entreprises ont beaucoup plus recouru aux applications et au paiement sans contact.  Cette période a accéléré un mouvement de recours aux services financiers à distance, déjà en forte croissance auparavant.

AJ : Comment les entreprises de la fintech gèrent-elles cette situation de forte accélération ?

 A. C. : Soutenu par cette forte croissance, le modèle des fintechs évolue de plusieurs façons :

  • d’abord, elles ont commencé avec un management où le dirigeant connaissait tous ses collaborateurs, avec souvent une unité de lieu. Aujourd’hui, avec le changement de taille, l’augmentation des effectifs, la multiplication des sites, les entreprises de la fintech se transforment. Elles se structurent, y compris en se renforçant dans les fonctions de structuration : juridique, finance, développement des partenariats. Les aspects de RH et de management sont au cœur de leurs préoccupations, d’autant qu’elles intègrent de plus en plus d’équipes internationales en central ou localement ;
  • ensuite, on assiste à un mouvement d’horizontalisation ou de plateformisation du secteur. La plupart de nos membres étaient à l’origine centrés sur une verticale c’est-à-dire un service spécifique (ex. : paiement peer to peer). À partir de cette base, elles ajoutent des offres de service (assurance, tenue de compte, financement, etc.). Certaines visent le statut de « super app » (application multi services incontournable) voire de néo banque, avec un parcours de plus en plus complet ;
  • Enfin, la technologie prend une place de plus en plus grande. Auparavant, l’innovation était principalement centrée sur l’usage et l’expérience utilisateur (« UX »). Aujourd’hui, une place beaucoup plus importante est donnée à la R&D, aux algorithmes et la gestion des données. Ce mouvement rend possible le développement de nouvelles fonctionnalités, comme le conseil à la valeur ajouté, la gestion des risques y compris de crédit et permet des gains de productivité importants.

AJ : Comment la règlementation des fintech a-t-elle évolué en France ?

A. C. : Il n’y a pas à proprement parler de règlementation spécifique aux fintechs. Elle existe dans de nombreux pays dans le monde (RU, Suisse, Luxembourg). C’est ce qu’on appelle le « bac à sable » (« sandbox »). La France a fait le choix d’une règlementation dite équitable « Level Playing Field » : pour un même type d’opération, la règlementation est la même, qu’elle soit initiée par une grande banque ou une fintech. Nous sommes donc soumis au régime commun.

« Il n’y a pas à proprement parler de règlementation spécifique aux fintech »

La règlementation a été longtemps un frein. Aujourd’hui, elle accompagner voire accélère l’innovation. Ainsi, le Règlement général de la protection des données (RGPD) acte la propriété du client sur ses données, lequel peut l’utiliser pour accéder à de nouveaux services. C’est de fait une opportunité pour les fintechs. Il en est de même pour la deuxième directive européenne sur les services de paiement (DSP2), qui permet au client d’utiliser son algorithme bancaire pour faire des opérations.

Tout cela est totalement régulé. Ces évolutions sont profondes. Aujourd’hui, plus de 85 % de notre règlementation est européenne (agréments notamment). La partie nationale est minoritaire. Mais nous relevons bien sûr également d’un corpus législatif et réglementaire français et d’une supervision nationale. Nous relevons de l’AMF, de l’ACPR, de la Commission national de l’informatique et des libertés (Cnil) ou encore de la législation sur le crédit à la consommation, etc.

AJ : En quoi la régulation française est-elle proportionnelle ?

A. C. : Aujourd’hui, nous sommes sur un régime commun avec les banques et les assurances, qui est la configuration la plus lourde et nous met parfois en situation de concurrence difficile avec des acteurs régulés à l’étranger. Notre système comporte donc certains assouplissements, tels que la capacité à échanger avec le régulateur pendant la phase de réglage du modèle et la prise en compte de la taille des opérations ; il s’agit notamment de tirer les conclusions réglementaires du fait que certaines fintechs réalisent très majoritairement des petites opérations. Dans les applications de paiement « peer to peer » par exemple, la majorité des transactions est inférieure à 100 euros (voire à 50) et concerne un virement de compte à compte. Celles-ci doivent donc faire l’objet de procédures simplifiées.

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